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Du 13 au 16 décembre 2022 s’est tenu le 1er séminaire régional du programme « Pour des territoires protecteurs des femmes victimes de violences » dans la ville d’Iztapalapa au Mexique. L’événement organisé par l’Observatoire des violences envers les femmes du Département de Seine-Saint-Denis, la CISDPDH de CGLU et la Ville d’Iztapalapa a regroupé une vingtaine de collectivités territoriales, d’organisations de la société civile et d’universitaires. La Ville de Djénine (Palestine), partenaire du programme, était aussi présente. Cette semaine de travail s’est clôturée avec l’adhésion de huit nouvelles collectivités d’Amérique latine au réseau mondial de l’Observatoire international des violences envers les femmes.

Iztapalapa a ouvert les portes de ses Utopias [1], centres municipaux pluridisciplinaires, pour quatre jours de travail intensif autour des politiques locales de lutte contre les différentes formes des violences faites aux femmes. La rencontre réunissait des élu.es, directrices de services, universitaires, militantes, fonctionnaires publiques, représentantes de la justice. Ce séminaire s’est articulé autour de quatre thématiques principales : les violences machistes dans le couple, les violences dans l’espace public, les féminicides et le rôle des observatoires locaux pour la réalisation de diagnostic sur l’ampleur des violences. L’Observatoire de Seine-Saint-Denis a partagé sa méthodologie et ses connaissances à travers l’expérience de dispositifs innovants tels que les bons taxis, « Un toit pour elle », le Téléphone Grave Danger ou le protocole Féminicide.  Durant ces 4 jours, se sont succédés des temps d’échanges à la fois pratiques et théoriques à partir de l’expérience de chacun.e des collectivités présentes.

L’ouverture, le mardi 13 décembre s’est déroulée sous l’égide de la Maire d’Iztapalapa, Claire Brugada avec la présence de l’Ambassadeur de France au Mexique, Jean-Pierre Aszavadourian, du Directeur adjoint de l’AFD au Mexique, Arnaud Dauphin et d’Ernestine Ronai, Responsable de l’Observatoire des violences envers les femmes du Département de la Seine-Saint-Denis.

Ouverture officielle du séminaire « Lutter contre les violences faites aux femmes dans l’espace privé et l’espace public »

Violences machistes dans le couple : identifier et protéger au niveau local

L’Observatoire de Seine-Saint-Denis (France) et le Département de Sociologie de l’Université de la Havane (Cuba) ont initié la première séance de travail en rappelant les fondamentaux des violences conjugales et la nécessité d’intégrer ces éléments dans l’élaboration des politiques locales et projets territoriaux. La stratégie des agresseurs et le terrorisme familial sont des réalités dans lesquelles sont enfermées individuellement les victimes. Des politiques publiques fondées sur la formation des professionnel.les sur les violences faites aux femmes est essentielle pour lutter contre ceci.

Les villes de Quilmes (Argentine) et de Villa Alemana (Chili) ont présenté la mise en place de lieux-ressources pensés par et pour les femmes. Ces lieux offrent des services d’information et d’accompagnement en continu et facilitent la coordination de suivis pluridisciplinaires afin de limiter le risque de revictimisation. Vila Alemana crée son Centro integral de la mujer [2] avec une méthodologie inédite de participation des femmes, des associations et des professionnel.les dans la conception du lieu.

Espace public : l’urbanisme, un outil pour prévenir les violences faites aux femmes

Dans l’espace public, les universitaires de la UAM d’Iztapalapa, de la UNAM et du réseau CISCA Villes Féministes ont démontré l’impact de l’urbanisme sur le sentiment d’insécurité des femmes lors de leurs déplacements dans la ville et sur leurs stratégies de mobilité. Faisant le lien avec le continuum des violences, les intervenantes ont rappelé que si les violences conjugales ont lieu dans la sphère privée, le fait que l’espace public ne soit pas un lieu de sécurité pour les femmes constitue un obstacle supplémentaire pour les victimes dans leur processus de sortie des violences. Ces conditions matérielles portent aussi atteinte au droit à une vie sans violence pour toutes. Les femmes exigent que la planification urbaine intègre la perspective féministe pour construire des villes sûres et inclusives.

Quito (Equateur) a présenté les campagnes de prévention du harcèlement sexuel dans les transports en commun avec la campagne « Cero acoso ». La ville questionne aujourd’hui la hiérarchie des besoins qui guidaient jusqu’à présent les plans de mobilité urbaine pour remettre les femmes piétonnes au cœur des dispositifs, améliorer l’accès au transport en commun et diminuer l’usage de la voiture.  Santiago du Chili a également mené une expérience de ville féministe avec des programmes de soutien aux « cuidadoras [3]» permettant à ces aidantes d’accéder à une professionnalisation et à d’autres femmes de (re)trouver une mobilité, leur permettant d’accéder à l’espace public, avec des  possibilités d’emploi. Construire des villes « du soin [4] » est un impératif qui a été régulièrement souligné par les participantes du séminaire, reconnaissant la valeur économique, sociale et politique du travail des femmes.

Avoir les moyens de nos exigences : ancrer localement la lutte contre les violences faites aux femmes

Nicoya (Costa Rica) a valorisé la campagne de prévention « Métele un gol al machismo [5]» autour du football, pratique transpartisane et populaire. Cependant, Nicoya et la Fédération dominicaine des municipalités ont rappelé la condition préalable à l’exécution de toute politique locale de lutte contre les violences : l’existence de moyens législatifs et matériels suffisants. L’effet de lois protectrices contre les violences sexistes et sexuelles dans la politique est un impératif pour que les femmes puissent s’impliquer.

Le cyber harcèlement et les humiliations misogynes sont des réalités quotidiennes subies par les femmes politiques présentes.

L’allocation de ressources pérennes et opérationnelles est une autre nécessité. Les institutions spécialisées disposent de très peu de moyens humains. La République dominicaine ne compte par exemple qu’un seul fonctionnaire au sein de la Commission judiciaire spécialisée sur le genre pour tout le pays. Toutes les participantes s’accordent sur l’obligation qui devrait être faite aux gouvernements locaux de former leur personnel sur les violences faites aux femmes afin de garantir la qualité des programmes. Cependant, l’instabilité des carrières de fonctionnaires, dûe aux aléas de la vie politique reste un frein pour installer durablement les politiques des collectivités en Amérique latine.

Jour 2 : Violences dans l’espace public

Les féminicides, lutter contre l’irréparable : des politiques publiques issues des mouvements sociaux

La journée consacrée à la lutte contre les féminicides s’est déroulée avec la participation des militantes et organisations de la société civile. L’association Red de mujeres de Ciudad Juarez, la Coordination nationale des femmes indigènes, la Commission Vérité, ainsi que Karen Martinely, militante, mère de Renata, adolescente de 13 ans victime de féminicide, ont exposé le douloureux combat des familles de victimes et des survivantes pour accéder à la justice. Elles racontent à l’unisson comment le militantisme est nécessaire pour dépasser les carences institutionnelles insupportables et la douleur indicible. La Commission Vérité a rappelé qu’au décompte dramatique des féminicides, il faut ajouter les chiffres des femmes et filles disparues pour lesquelles les enquêtes doivent suivre des méthodes intégrant les spécificités des violences de genre.

Bogota (Colombie) a présenté le fonctionnement du « Système articulé d’alertes précoces pour la prévention du féminicide » (SAAT) qui permet aux services municipaux d’identifier les victimes à haut risque de féminicide avec l’expertise du service de médecine légale. Un accompagnement spécialisé et inter-institutionnel leur est alors proposé. Le Parquet spécialisé sur les délits de genre (Tribunal de Mexico) a expliqué la manière dont la justice, et plus généralement tous services publics traitant des violences conjugales, doivent adapter leurs méthodes afin de prendre correctement en charge la complexité des situations (emprise et manipulation, analyse des preuves matérielles, impact du psycho-traumatisme, dépendance économique etc.).

Protéger les filles des violences patriarcales de l’enfance à l’âge adulte

Le témoignage puissant de Karen Martinely a mis en lumière la manière dont le patriarcat expose le corps des femmes aux violences dès leur plus jeune âge. La protection des filles et adolescentes est un enjeu de politiques locales intrinsèquement corrélé à la lutte contre les violences faites aux femmes. Tout au long de la semaine, les participantes ont pointé l’urgence de construire des programmes pour protéger les filles dès les premières violences sexuelles et prévenir leurs conséquences comme les grossesses issues de ces viols.

L’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis a souligné l’importance de prendre en charge les enfants co-victimes des violences conjugales et orphelin.es des mères tuées et/ou disparues avec un accompagnement pédopsychiatrique pour traiter le traumatisme subi. C’est notamment la vocation de son protocole féminicide. ONUDOC a partagé son outil statistique définissant un ensemble de critères pour objectiver un féminicide. L’objectif est de rendre visible les meurtres perpétrés en raison du sexe féminin et de participer à l’amélioration des politiques de prévention des féminicides, même dans les pays où l’infraction n’est pas pénalisée comme telle. Cette grille d’analyse, largement saluée par les participantes, couvre un large spectre des meurtres sexistes en intégrant notamment les féminicides à l’encontre de filles et adolescentes commis dans le cadre d’agressions sexuelles, mariages précoces et forcés, mutilations sexuelles féminines, etc.

Table ronde : Le traitement des féminicides au Mexique : hommage et justice

Diagnostic local : révéler l’ampleur des violences

La dernière journée a porté sur l’importance du travail partenarial et le recueil des données avec l’observation du fonctionnement du Cabinet de sécurité dirigé par la Maire d’Iztapalapa. Il s’agit d’une instance de coordination entre les différentes forces de l’ordre compétentes sur le territoire d’Iztapalapa.  Le suivi permet d’analyser les chiffres des crimes et délits au niveau local et de faire un focus sur les violences faites aux femmes. A partir de ces éléments, les services municipaux ont établi un diagnostic précis des révélations de viols depuis 2018 : 91% des victimes sont des femmes, 46% des mineures. La majorité des faits dénoncés ont eu lieu dans l’année (plus de 65%) et ont été commis avec circonstance aggravante (68% en 2022). Il est notable de souligner qu’en 2022, Iztapalapa a observé une forte hausse des dénonciations. A cette occasion, Clara Brugada, la maire, a rappelé qu’il faut y voir, non pas une augmentation de la criminalité sexuelle, mais un meilleur accompagnement des victimes par les services publics dans la révélation des violences. C’est un signal positif du travail mené par le Cabinet de sécurité et par l’ensemble des partenaires qui accompagnent les femmes victimes de violences.

Les échanges se sont poursuivis avec l’UNAM qui a présenté les travaux historiques de la Hull House of Chicago, avec les premières cartographies socio-économiques, réalisées par et pour les femmes. La ville de Djénine (Palestine) a lancé son Observatoire en 2021 et présenté les résultats de son premier diagnostic. Outre le recueil de données sexuées et précises, l’Observatoire de Djénine a aussi analysé la complexité des lois palestiniennes fondées sur les textes égyptiens et jordaniens. De nombreuses contraintes limitent le départ de la victime du foyer (autorisation du mari pour l’obtention du passeport, pour voyager, etc.). L’occupation israélienne engendre des risques supplémentaires pour fuir un conjoint violent. Ces éléments ont servi de fondement à l’analyse et à la construction d’un plan d’action sur trois ans. L’Observatoire de Seine-Saint-Denis a conclu en exposant les grands enjeux d’un diagnostic partagé : révéler les violences sur un territoire et mieux les appréhender, partager une culture commune sur la compréhension de ces situations entre partenaires qui collaborent au diagnostic, évaluer et améliorer les politiques publiques.

De la théorie à la pratique : visites en terre féministe

Iztapalapa, ville hôte de l’événement, a généreusement partagé son savoir-faire. Les temps de conférence ont été complétés par des visites de terrain au cœur des dispositifs de prévention et protection mis en place par la Maire. La délégation internationale a rencontré les « animatrices communautaires [6]» qui informent les habitantes sur les violences en réalisant quotidiennement du porte à porte, avec des outils comme le violentomètre et la roue de la violence. Elles orientent ensuite les femmes victimes vers les « Casas de las Siemprevivas [7] » avec des services pluridisciplinaires  et qui se situent dans chacune des dix Utopias. Les participantes ont visité les « Caminos de mujeres libres y seguras [8] », espaces publics rénovés et aménagés avec plus de 2900 murales [9] pour la mobilité de toutes et le droit à la ville. En parallèle, le réseau « Tu negocio seguro para la mujeres [10]» rend visible sur la devanture les commerces disposés à écouter et orienter les femmes victimes de violences qui se réfugient chez eux. Enfin, les équipes mobiles de prévention contre le harcèlement sexiste dans les transports sensibilisent les voyageuses et voyageurs dans les gares et à bord des bus. Une des autres visites de terrain fut le « Centro de Justicia para mujeres [11]», un centre de prise en charge inédit regroupant les services de la police, de la justice, des professionnel.les de santé, une salle d’audience civile pour les mesures urgentes de protection et une possibilité d’hébergement d’urgence pour accueillir sur place les victimes.

La semaine s’est conclue sur une déclaration collective d’engagement au sein du réseau mondial de l’Observatoire international des violences envers les femmes. Aux côtés de l’Observatoire la Seine- Saint-Denis et de la Maire d’Iztapalapa se sont aussi associées au réseau les villes de Bogota (Colombie), Ciudad Juárez (Mexique), Nicoya (Costa Rica), Quilmes (Argentine), Quito (Équateur), Santiago et Villa Alemana (Chili), ainsi qu’à la Fédération dominicaine des municipalités.

Signature de la déclaration collective d’engagement

Documents et liens utiles

Rapport final du Séminaire Téléchargez le rapport final du Séminaire ici.
[1] Unidades de Transformación y Organización Para la Inclusión y la Armonía Social.
[2] Centre intégral de la Femme
[3] Aidantes
[4] Cuidades del cuidado  signifie, en espagnol à la fois le soin aux personnes, les tâches domestiques, la bienveillance et le fait de « s’occuper des autres »
[5] Mettre un but au machisme, campagne de prévention contre le sexisme
[6] Orientadoras comunitarias
[7] Les maisons des toujours-vivantes, lieu d’accueil d’écoute et d’accompagnement des femmes victimes de violences
[8] Les chemins sûrs
[9] Grandes fresques sur les murs des bâtiments
[10] Mon commerce sûr
[11] Centre de justice pour les femmes

 

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