Carnet de mission : l’Observatoire international des violences envers les femmes à Ngazidja – Juin 2025

Quatre ans après le lancement du projet FICOL, cette mission avait pour objectif de faire un point sur les avancées de l’Observatoire des violences faites aux femmes et aux mineur·es de Ngazidja, de participer au séminaire de capitalisation du projet sur place et de poser les bases des actions à finaliser d’ici la clôture du projet.

Aux côtés de la nouvelle co-coordinatrice du projet Mouznat Djoumoi, la délégation s’est impliquée dans des temps de formation et d’échange en lien avec les enjeux prioritaires : mobilisation interinstitutionnelle, prévention, accès aux droits et pérennisation des dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles.

Des rencontres institutionnelles pour installer durablement l’action

Dès leur arrivée à Moroni, les membres de la délégation ont été reçus par Réjane Hugounenq De Vreyer, directrice de l’AFD locale. Les échanges ont mis en évidence la difficulté d’agir dans un contexte marqué par le manque de ressources et une coexistence complexe entre différents systèmes juridiques – républicain, coutumier et musulman – qui freine la prise en charge des violences sexuelles et conjugales. Ces enjeux ont également été au cœur du dîner de travail organisé par l’ambassadeur de France aux Comores, Sylvain Riquier, en présence de représentant·es de l’AFD, de l’UNICEF et de la Gendarmerie nationale. Tou·tes ont souligné combien le manque de moyens humains, techniques et financiers constituait un frein majeur à la mise en œuvre des projets, dans un contexte où l’instabilité administrative rend plus difficile la continuité des actions et la transmission des savoirs. Plusieurs intervenant·es ont exprimé la nécessité d’une meilleure coordination entre les acteurs présents sur place, pour éviter les chevauchements et adapter les actions aux réalités propres au territoire comorien.

À Moroni encore, la délégation a rencontré Pavlos Evangelidis et Marie-Stella Delaye du bureau de l’Union européenne. Ils ont exposé la stratégie européenne intégrant la dimension de genre dans tous leurs programmes avec des priorités en santé, éducation et eau. Le projet Shawiri, financé par l’UE à hauteur de 3,85 millions d’euros, œuvre à créer un écosystème protecteur des femmes, jeunes et personnes handicapées, et à renforcer la gouvernance des institutions concernant le genre. Une délégation de Shawiri est venue en Seine-Saint-Denis en novembre 2024 pour un échange avec l’Observatoire des violences faites aux femmes du Conseil départemental sur les enjeux de formation des professionnel.le.s.

• Pour en savoir plus sur cette rencontre, cliquez-ici

Un séminaire de capitalisation à grande échelle

Le 17 juin au Palais du Peuple, plus de 500 participant·es se sont rassemblé·es pour ce moment majeur. Le séminaire a combiné un panel d’ouverture politique, un panel technique et une table ronde stratégique sur la lutte contre les violences.

En ouverture, Stéphane Troussel, président du Conseil départemental, a rappelé l’histoire de la collaboration entre la Seine-Saint-Denis et Ngazidja, soulignant le rôle central de la diaspora dans ce partenariat. Le gouverneur Ibrahim Mze Mohamed a réaffirmé que la protection des femmes et des filles s’impose comme une priorité essentielle, qui appelle un engagement de chaque acteur sur la durée.

Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire, a développé la nécessité d’un travail collectif mobilisant tous les acteurs, de la prévention à la prise en charge. Elle a insisté sur l’importance du rôle fondamental des lois, souvent mal appliquées, et de la sensibilisation préalable.

Le panel technique, rassemblant plusieurs associations comme le service d’écoute et l’UNICEF, toutes impliquées dans la protection et l’accompagnement des femmes victimes, a permis de dresser un état des lieux des violences sur le territoire et de faire remonter les principaux défis rencontrés en matière de protection et de prise en charge :

• L’UNICEF a indiqué que 69 cas de violences avaient été recensés depuis janvier 2025 sur l’île de Ngazidja.
• L’UNFPA a alerté sur l’importance d’une prise de conscience et du travail autour des masculinités positives.
• Les associations locales ont insisté sur la nécessité de vulgariser le droit dans les communautés, surtout rurales et d’associer fortement les jeunes et les leaders religieux dans la prévention.
• Mme Oummi Hafsoit Mohamed, de l’Université des Comores, a présenté les conséquences psychotraumatiques sur les enfants exposés aux violences, plaidant pour une prévention renforcée.

Les échanges ont mis en lumière plusieurs freins récurrents : l’absence de structures d’hébergement d’urgence, la difficulté de collecte et de partage des données, le poids culturel et religieux qui freine la révélation des violences. Tous ont rappelé la nécessité d’une décentralisation des actions, au plus proche des communes, pour assurer une réponse adaptée et pérenne.

Visites sur le terrain : des projets au service des femmes victimes de violences

Ndzaouzé – Sensibiliser dès l’enfance

À Ndzaouzé, la délégation est venue dans le cadre du projet d’électrification solaire de l’école primaire, initiative soutenue par le Conseil départemental et l’association Maeecha. Ce fut l’occasion de distribuer des exemplaires du violentomètre aux élèves et enseignant·es et de rencontrer l’Association de femmes pour le développement de Ndzaouzé.

Cette association agit sur plusieurs fronts : elle lutte contre les violences faites aux femmes en sensibilisant les habitantes, accompagne les victimes, et œuvre aussi contre les accouchements à domicile sans assistance, enjeu sanitaire majeur. Elle intervient contre les mariages forcés et précoces, en informant familles et filles sur leurs conséquences et en facilitant l’accès à la planification familiale. La lutte contre l’analphabétisme féminin est également un axe clef. Le recrutement de deux infirmières grâce au soutien du gouvernorat renforce ces actions.

Malgré ces avancées, l’association rappelle que le silence imposé par les agresseurs reste un frein puissant à la libération de la parole, soulignant la nécessité d’un engagement renforcé sur tous les leviers, y compris l’éducation.

Mitsamiouli – Mwana Kaliwa, en première ligne

À Mitsamiouli, la délégation a rencontré l’association Mwana Kaliwa – Mwana Ulewa, très active sur la prévention des violences sexistes et sexuelles, notamment auprès des mineur·es. L’association intervient en étroite collaboration avec chefs religieux, autorités locales, justice, police et gendarmerie. Elle anime des actions dans les écoles coraniques et publiques, ainsi que des clubs d’adolescents.

Les données du premier trimestre 2025 montrent l’ampleur du phénomène : 202 cas enregistrés, dont 170 concernent des filles. Cette situation se traduit par des grossesses précoces, peu ou mal suivies, dans un contexte où l’avortement thérapeutique est toujours tabou en pratique malgré sa légalisation. Certaines victimes sont mariées de force à leur agresseur, à la suite d’arrangements familiaux.

L’absence de solutions d’hébergement d’urgence force parfois ces jeunes filles à être accueillies dans des familles d’accueil, parfois précaires. L’association mène un plaidoyer continu pour l’accès aux soins, la vulgarisation juridique et le renforcement des partenariats avec les institutions de justice et les services d’écoute, afin d’améliorer la prise en charge et prévenir la récidive.

Foumbouni, les violences faites ici et là-bas

La délégation s’est également rendue à Foumbouni, dans le sud de l’île, pour visiter la Maison des sages-femmes, un projet financé dans le cadre de l’Appel à Agir IN 2023 lancé par le Département de la Seine-Saint-Denis. Portée par l’association Étoiles d’Auber, en lien avec des actrices locales, cette structure a pour objectif de créer un espace de soins de santé sexuelle et reproductive pour les femmes, mais également un lieu de repérage et d’écoute dans une région où les violences restent peu révélées. Cette visite a aussi été l’occasion de renforcer l’axe 3 du projet FICOL, qui vise à sensibiliser ici et là-bas, en s’appuyant sur un travail étroit avec les diasporas du territoire de Seine-Saint-Denis. Conscients que les violences faites aux femmes sont un phénomène universel, les diasporas jouent un rôle central en initiant et en soutenant des projets de lutte tant sur les territoires d’accueil qu’auprès des communautés d’origine.

• Pour en savoir plus sur le projet d’Etoiles d’Auber, cliquez ici : Appel à agir 2023

Comité de pilotage : un temps d’échanges riches et prospectifs

Le 19 juin, en présence du Gouverneur Ibrahim Mze Mohamed et du Secrétaire général Moundhir Fathi Said, le Comité de pilotage a réuni une large participation des partenaires : services d’écoute, police, Croix-Rouge, Maeecha et ASCOBEF, plateforme des femmes en politique, entre autres.

L’OIVF en a profité pour rappeler l’importance de disposer d’un état des lieux actualisé et de données fiables sur les violences, préalable indispensable à toute politique publique en matière de protection des femmes victimes de violences. Maïra Topall est revenue sur ce point, soulignant combien ce travail de recueil constitue la base de l’action de l’Observatoire depuis 2022.

Les interventions des partenaires ont mis en lumière plusieurs constats préoccupants. Si les violences sexuelles sont de plus en plus signalées, les violences conjugales continuent de ne pas être reconnues, trop souvent considérées comme une affaire privée. L’application des lois reste fragile, en dépit des avancées du Code pénal. Et les difficultés d’orientation ou d’écoute, en l’absence de structures d’hébergement ou d’un dispositif clair de protection, constituent un frein récurrent dans l’accompagnement des femmes. Les enjeux liés aux auteurs – notamment les mineurs – ont aussi été mentionnés, tout comme le besoin exprimé de renforcer les campagnes dans les établissements scolaires, y compris dans les écoles coraniques.

Le besoin d’un travail de coordination a été largement partagé. Plusieurs acteurs ont exprimé le souhait de disposer d’un outil commun, type memento ou guide des interventions, pour mieux articuler les rôles entre services et associations. La formation continue a aussi été évoquée, avec des demandes précises formulées sur les techniques d’écoute, la médiation communautaire ou la vulgarisation des textes.

Ce comité de pilotage a permis de poser des jalons concrets pour les mois à venir : finaliser la cartographie des dispositifs mobilisables, mettre à jour l’état des lieux sur la base des données recueillies, réunir les partenaires plus régulièrement d’ici la fin du projet, et intensifier les actions de sensibilisation.